Certains se contentent d'une approche de l'acoustique empirique, mélangeant bon sens et expérience avec plus ou moins de bonheur. Au contraire, les ingénieurs en acoustique de l'équipe Anagram, Daniel Bujon et Bruno Soudan, privilégient une approche rigoureuse qui comprend les étapes suivantes:
A partir d'un plan du lieu, des hypothèses sont définies sur les différents éléments concernant l'acoustique, meubles, revêtements, etc... ainsi que les sources sonores (les enceintes acoustiques). Les données ainsi définies sont saisies dans le programme de simulation EASE (Electro Acoustic Simulation for Engineers). Le problème à ce stade est d'évaluer la correspondance entre les matériaux se trouvant dans la banque de donnée du programme et ceux choisis, disponibles, qui seront réellement installés. Il faut savoir que le coefficient d'absorption acoustique d'un matériau tel qu'un BA13 ou une feuille de contreplaqué varie largement en fonction de la distance de montage par rapport à la paroi qui se trouve derrière. Or toutes les données disponibles sont en mesures impériales (pieds, pouces), EASE étant manifestement destiné en priorité au marché américain. (Tout le monde sait que les européens ne sont pas intéressés par l'acoustique...). De plus, les matériaux ne sont pas exactement les mêmes, et les rails de montage ont des largeurs métriques, évidemment... De cette évaluation dépend la justesse de la simulation, et une solide expérience de l'utilisation du programme est bien utile. Les données entrées, on fait « tourner » le programme qui présente un résultat. Au premier essai, ce résultat n'est jamais satisfaisant (ceci fait la différence entre l'approche rigoureuse et l'approche empirique: avec cette dernière, on se contente du premier essai). On modifie alors les choix de matériaux, les positions des parois, les directivités des enceintes jusqu'à obtention d'un résultat simulé qui corresponde au cahier des charges fixé. On réalise ensuite le traitement acoustique prévu, puis on mesure le résultat avec des analyseurs multifonctions, dans le cas d'Anagram Acoustics les logiciels Clio, SIA et LMS avec les cartes d'acquisition correspondantes. On ajuste ensuite le traitement acoustique pour qu'il corresponde au résultat attendu. Grâce à la simulation préalable, ces ajustements ne remettent pas en question l'agencement global de la pièce, ce qui évite de coûteuses modifications. Dans le cas du show-room d'Anagram Acoustics, Bruno Soudan a entré les caractéristiques de la pièce virtuelle dessinée sur Architecte 3D décrite dans l'article précédent, en définissant les caractéristiques acoustiques de chaque matériau.
Pour la réalisation d'une acoustique de type LeDe, comme nous le recherchons ici, l'élément d'évaluation le plus important est le réflectogramme: Il s'agit de réduire autant que possible les réflections très courtes, inférieures à 15 millisecondes (en délai par rapport à l'onde directe émise par les enceintes).
Le programme EASE permet de visualiser les différents trajets d'ondes représentés sous forme de rayons, et leur progression dans l'espace dessiné en 3D est animé. Une fonction permet de « geler » la représentation de ces rayons à un instant donné, ce qui est bien commode pour les repérer et intervenir sur chaque réflexion si besoin est.
Dans le cas de la pièce que nous avons simulée, voici le résultat « gelé » à 12,51 millisecondes millisecondes.
Rayons blancs = onde directe Rayons jaunes = reflexions primaires Rayons roses = reflexions secondaires Rayons rouges = reflexions tertiaires Le réflectogramme correspondant est présenté ci-dessous. L'onde initiale émise par une enceinte est représentée par un trait vertical rouge. Les réflexions , représentées en vert, ont une hauteur proportionnelle à leur niveau (en dB) et une position horizontale représentant leur retard par rapport à l'onde initiale.
Un tel réflectogramme présentant une décroissance régulière est classique, et correspond à une pièce homogène à l'acoustique satisfaisante, mais sans aucune caractéristique LeDe.
En remplaçant les enceintes par des modèles de même directivité (Dans le cas présent, on a choisi une directivité nominale de 30° verticalement et de 120° horizontalement, ce qui correspond typiquement à une configuration d'Appolito), mais encastrées dans le mur (soit en utilisant des enceintes « in-wall », soit en les bafflant intégralement), on élimine les toutes premières réflections du mur arrière.
Les autres réflexions proches sont éliminées par les actions suivantes:
a) Le placement d'une table basse à un endroit précis dévie les réflexions sur le sol au dessus de la zone d'écoute. Comme on peut considérer que les auditeurs-spectateurs seront assis, cette solution est efficace.
b) Des panneaux acoustiques disposés dans le faux-plafond traitent la première reflexion sur le plafond.
c) La combinaison de l'angle des murs avec leur absorbtion élimine les premières réflexions latérales.
Ceci permet d'obtenir le réflectogramme ci-dessous:
On voit distinctement une première réflexion isolé à environ 7 ms, puis quatre autres (deux sont quasi-superposées en apparence, mais étant de niveaux différents, elles empruntent des trajets forcément différents) de 12 à 14 ms, toutes les autres réflexions arrivant après 15 ms. Le problème est que les réflexions isolées sont bien plus gênantes que les réflexions multiples, car elles provoquent des irrégularités importantes dans la courbe de réponse, étant nécessairement en opposition de phase à certaines fréquences.
La première réflexion a pu être isolée en arrêtant la visualisation dynamique en 3D (ci-dessous) vers 13ms. Un objet placé à l'endroit d'impact de cette réflexion sur la paroi permet de la dévier hors de la zone d'écoute.
On remarquera sur cette simulation 3D que la densité des réflexions est bien moindre dans la plage de temps qui nous intéresse
Après placement d'un objet (en pratique, une étagère) déviant la première réflexion hors de la zone d'écoute, on obtient le réflectogramme suivant, nettement caractéristique d'une acoustique LeDe.
Les quatre autres réflexions courtes, plus difficiles à localiser par simulation, seront isolées par la mesure, puis traitées.
En fonction des différents revêtement définis, on obtient un temps de réverbération estimé tel que présenté ci-dessous.
Cette estimation est cependant loin d'être précise, les coefficients d'absorption des matériaux n'ayant pu qu'être évalués par analogie avec ceux des matériaux disponibles dans la base de données de EASE. Le temps de réverbération ne constituant pas un critère fondamental en soi, l'important étant qu'il ne présente pas d'anomalie dans une plage de fréquences donnée, on le mesurera et l'ajustera si besoin après mesure.
Bien plus intéressante est la simulation du RASTI (Rapid Speech Transmission Index), qui est une évaluation directe de l'intelligibilité d'une source sonore. En se basant sur un bruit de fond estimé de 40dB (on devrait, en pratique, obtenir mieux), le programme EASE nous a fourni l'évaluation suivante, déterminant trois zones:
Une première zone (vert avec des points blancs) offrant un RASTI supérieur à 0,85 (ce qui est vraiment exceptionnel, mais qui est situé hors de la zone d'écoute, à proximité des enceintes- la zone d'écoute est représentée par un rectangle).
Une deuxième zone (jaune uniforme), majoritaire et englobant la zone d'écoute, offrant un RASTI supérieur à 0,80, ce qui est vraiment excellent.
Deux petits coins ont un RASTI « seulement » supérieur à 0,75 (jaune avec des points rouges). Comme il s'agit des coins, c'est là qu'on placera (avec un bonnet d'âne) les auditeurs qui ne seront pas capables de réciter le présent article par coeur. Non, mais!
Pour indication, voici le tableau résumant l'évaluation de l'intelligibilité en fonction du RASTI.
Plaisanterie à part, nous voyons que le résultat figure dans la zone « excellent » en ce qui concerne l'intelligibilité.
En résumé, les outils de simulation dont nous disposons nous permettent de présumer qu'une pièce telle que dessinée nous procurera les résultats suivants:
En bonne logique, l'étape suivante consiste à réaliser l'aménagement de cette pièce conformément à la simulation, et à mesurer le résultat pour effectuer les éventuels ajustements. Il ne faut pas non plus oublier d'installer l'équipement nécessaire à faire fonctionner un Home Theater, ce qui sera décrit dans le prochain article « pro ».
Lire aussi :
-Un Home Theater de A à Z PRO Partie 1
-Un Home Theater de A à Z PRO Partie 2
-Un Home Theater de A à Z GENERAL Partie 1
-Un Home Theater de A à Z GENERAL Partie 2